La mobilité urbaine est un enjeu primordial pour la transition environnementale et sociale : le transport induit plus de 30% des émissions de gaz à effet de serre (GES) de la France en 2019, et la mobilité urbaine représente près de 40% des émissions de CO2 du transport routier en Europe (Tsavachidis & Petit 2022). Elle est un enjeu multiniveau porté à la fois par les habitants-utilisateurs des mobilités, les acteurs en charge de fournir ces transports (régie de transports), et les responsables locaux de l’aménagement et des transports (élus, aménageurs…). En plus de cet aspect multi niveau, le système met en jeu de nombreux composants (infrastructures, moyens de transport, besoins en transport…) en interaction, formant un système complexe en constante évolution. Se pose aussi la question des représentations du système parfois éloignées de la réalité (sous-estimation du coût de la voiture ou de l’impact santé du vélo, mauvaise compréhension du lien entre infrastructure et usage…) (Schwarz et al, 2024, Walker et al. 2023). Ces fausses représentations et biais peuvent induire des décisions conduisant à des situations non souhaitables, ou empêcher d’obtenir les effets attendus d’une décision (par exemple effet rebond, inertie, habitudes…). Il y a ainsi un enjeu important pour sensibiliser les acteurs du système, à commencer par ceux a priori les moins experts, c’est-à-dire les habitants des territoires urbains. Cette sensibilisation peut se faire avec des jeux de plateau, mais aussi avec des jeux informatisés qui ont l’avantage d’automatiser les calculs pour simuler des phénomènes complexes sans surcharger le joueur. C’est dans cette optique que nous avons conçu Sim-Switch, un jeu à destination du grand public. Par rapport aux autres jeux sur la mobilité urbaine, il a l’originalité de mettre au premier plan la question des choix modaux en intégrant les biais cognitifs et de représentation. Sim-Switch est un jeu informatisé, solo ou en groupe, monoposte, qui peut se jouer en autonomie ou être animé par un facilitateur. L’objectif est de nourrir une réflexion sur la mobilité urbaine. Le(s) joueurs·ses sont placés dans le rôle d’élu(es) d’une ville en charge de décider de la stratégie et des aménagements de mobilité. Le jeu prend place dans un territoire stylisé, aux caractéristiques paramétrables, composé d’un centre-ville et de différents quartiers disposés en couronnes (fig.1). Le jeu se déroule en continu, sans tour discrétisé. Le joueur reçoit un budget, qui augmente au fur et à mesure du temps (via un système d’imposition et de taxes sur la population), et qu’il peut investir dans différentes actions de plusieurs types : Nouvelles infrastructures (pistes cyclables, routes, voies de bus…) ; Taxes ou au contraire incitations financières (e.g. modification du prix des parkings, des transports en commun…) ; Modification de la politique de mobilité (Zone à Faibles Émissions, limitation de vitesse, piétonnisation…) ; Campagnes de communication ou sensibilisation (promotion des modes actifs, sécurité routière…). Le jeu simule en continu les comportements et pratiques de mobilité des habitants, alors que chaque action du joueur a un impact direct (campagne de communication) ou indirect (infrastructure) sur ceux-ci. Une emphase importante du jeu est mise sur le comportement de la population, qui intègre différents éléments : une base rationnelle avec la prise en compte des préférences et des valeurs, mais aussi l’influence des habitudes et de divers biais de représentation et de décision. À tout moment, le joueur peut visualiser l’impact de ses actions sur divers indicateurs (congestion, satisfaction des habitants…), afin d’apprendre empiriquement. Le jeu se déroule sur le temps d’un mandat (6 ans) et sa fin est sanctionnée par une élection municipale, servant de bilan final au joueur. Cependant, le joueur peut perdre la partie avant même la fin de son mandat, à travers une mauvaise gestion budgétaire (faillite) ou un mécontentement trop élevé de la population (démission). Sim-Switch est basé sur un modèle à base d’agents implémenté sous la plateforme GAMA (https://gama-platform.org), inspiré du modèle agent de choix de mobilité de (Adam et al, 2022). Le modèle est constitué de trois entités (la ville, ses districts et les ménages). Le joueur prend en charge l’activité du maire, qui peut faire évoluer les infrastructures ou les règles relatives à la mobilité au sein de la zone urbaine (cf possibilités du joueur). Les ménages établissent leurs plans de mobilité (i.e. associent un poids à chaque mode) pour chaque couple de districts origine-destination (y compris d’un district vers lui-même). La ville et ses districts actualisent alors les décisions du joueur (mise à jour des niveaux d’accessibilité par mode sur chaque tronçon) et des ménages (mise à jour du trafic réel ou du niveau de congestion). Chaque agent ménage représente un ensemble cohérent de ménages ayant les mêmes caractéristiques (niveau de revenu, en couple ou non, nombre d’enfants). Cet agent choisit un mode de mobilité pour chaque tronçon origine-destination, valable pour tous les ménages de mêmes caractéristiques. Cette décision est ensuite conservée tant qu’il n’y a pas de changement dans l’environnement ou d’événement de vie (probabilité paramétrable). Cela réduit drastiquement le nombre d’agents simulés, permettant ainsi de représenter une ville de grande taille tout en garantissant un jeu en “temps-réel” (1 journée simulée est exécutée en quelques millisecondes). Le jeu Sim-Switch permet au joueur de prendre des décisions quant à la gestion de la mobilité urbaine. Au travers de ce jeu, nous souhaitons permettre au joueur d’explorer plusieurs éléments : i) Le fonctionnement du système et les interrelations entre les éléments (par exemple relations entre infrastructure et usage), ii) Les compromis nécessaires entre les critères (sociaux, environnementaux…), iii) Les biais cognitifs dans les choix de modalité et leur impact sur l’efficacité des politiques d’aménagement, iv) Les évolutions ou stratégies possibles qui pourraient conduire à des choix plus vertueux ou à l’inverse délétères. Si le jeu est animé par un facilitateur, celui-ci proposera un débriefing final pour discuter des stratégies adoptées par les joueurs. Sinon, les apprentissages découleront uniquement des observations pendant le jeu et d’un résumé final généré automatiquement. L’évaluation des apprentissages se fera au travers de questionnaires ex-ante et ex-post dont la comparaison permettra d’observer les changements d’avis, de posture ou l’apport de connaissances sur ces éléments. Le jeu est encore en cours de construction. Il reste des éléments d’interface et de représentation à construire pour le rendre tout à la fois ludique et ergonomique. A terme, il sera jouable en ligne et sera diffusé via des ateliers de vulgarisation scientifique, des animations sur la mobilité, et par des catalogues de jeux en ligne.